Propos de Birgitta Jónsdóttir recueillis pour le Parti Pirate le 02 février 2016 à l’Althing Reykjavik Traduction de Corinne Gireau et l’association lemoyeu.fr
Birgitta : L’enjeu est de changer le système et d’établir une nouvelle donne. Nous n’essayons pas d’opérer à partir des institutions établies. Je pense que l’objectif principal du Parti Pirate Islandais est d’effectuer une transformation démocratique par la transparence de l’exécutif et le transfert du pouvoir au peuple.
Soit on opère à travers les plus hautes instances normalement constitutionnelles, soit par voie parlementaire pour faire en sorte qu’on ne reste pas coincé avec les élus pendant 4 ans, sans pouvoir les tenir responsables de leurs promesses.
Notre action contre la corruption devant l’hôtel BORG lors du réveillon 2009/2010 était une des raisons principales pour lesquelles les islandais nous ont fait confiance car nous ne nous adressons pas à un public spécifique. Même si les geeks nous supportent, ce n’est pas notre base. Ce sont plus des jeunes qui veulent s’imposer et avoir quelque chose à dire sur leur avenir. Il a quand même fallu des circonstances extraordinaires. Donc il n’existe pas un « modèle pirate » pour avoir du succès.
Je pense par exemple à la discussion sur le revenu de base. C’est en ce moment un thème dont on discute partout : il y a un référendum en Suisse, le gouvernement finlandais lance des expérimentations et nombre d’autres pays étudient cette solution pour répondre au chômage de masse des jeunes. Ça ne peut que prendre de l’ampleur.
A propos des retraites, tout le monde craint de ne jamais pouvoir récupérer l’argent cotisé :
« C’est quand même mon argent, et il n’y a aucune transparence sur la façon dont c’est investi ».
En fait ce n’est qu’un immense tas d’argent qui doit être mis en circulation. C’est une manière assez folle de s’assurer de ne pas devoir s’inquiéter pour ses vieux jours. Le traitement des gens âgées, depuis la privatisation des structures d’accueil, dévoile un irrespect profond envers ceux et celles qui nous ont ouverts tous ces droits. Avec le vieillissement de la population européenne, ce sont d’énormes déficits globaux. Il y en a partout dans le monde des pirate ou autres , fésant ce pari politique en montant des partis émergents. Je pense que ces partis devraient mieux coopérer. Et même si le Parti Pirate n’a pas les moyens de se présenter partout, le mot d’ordre est d’être engagés en tant que pirates dans tous les partis afin qu’ils aient accès à notre point de vue et notre expertise.
Une des choses qui m’a beaucoup choqué quand je suis arrivée au parlement il y a déjà 7 ans, c’était que le pouvoir de contrôle du parlement sur les budgets était quasiment nul. Je dirais que les bureaucrates ont pris le pouvoir. Parce que ce sont des postes qui durent dans le parlement, les ministères, et les institutions. Il y a une rotation parmi les élus et les ministres, mais les fonctionnaires, eux, ils restent. Il n’y a aucune transparence, nous n’avons vraiment aucune idée de comment l’argent publique est dépensé, mais on continue de payer des impôts pour entretenir les fonctions régaliennes comme la santé, l’éducation publique, etc… Pourtant on a besoin des réformes massives dans le domaine de l’éducation. C’est horriblement cher d’obtenir une qualification. Ça ce peut que nous n’avions pas besoin tout ces énormes établissements. Moi même je suis une autodidacte. Je savais ce que je voulais faire quand j’étais jeune. J’ai abandonné le système scolaire traditionnel, franchement très ennuyant et pas efficace, pour faire ce que je voulais faire. Nous avions besoin d’un système où l’expérience est valorisée avec différents types de formation et pas uniquement cette routine d’heures de bureau de merde qu’on impose à nos enfants dès leur très jeune âge et jusqu’à la mort. À qui ça sert ? Auparavant ça arrangeait l’industrie, mais maintenant cela provoque que des embouteillages; même les transports publics sont saturés.
Il me semble qu’on se trouve dans ce merveilleux « entre deux ». On peut prendre un mauvais virage ou bien se mettre au travail ensemble.
Il y a de plus en plus de gens responsables qui reconnaissent qu’en tant qu’êtres humains nous devrions reprendre la main sur les questions concernant nos communautés. Cette situation démesurée que nous avons créée et qui laisse à l’abandon de plus en plus de gens est devenue inacceptable.
Q : Quand tu rencontres des gens, quand tu parles avec des personnes plus âgées, par exemple; ils n’ont pas peur des pirates ? Quelles sont leurs réactions ?
BJ : C’est intéressant. En fait c’est une combinaison de plusieurs facteurs. Nous sommes peu nombreux et nous avons attiré beaucoup d’attention. Vous voyez, j’ai créé deux partis. L’autre parti était également orienté vers une re-fondation de notre démocratie. Mais j’ai aussi toujours publiquement défendu les droits des gens âgées, pauvres et défavorisés. Ma mère, après avoir été une musicienne assez connue, est devenue handicapée. Puis ma grand mère est décédée dans une maison de retraite et j’ai vu ce que l’on y fait aux gens. Moi même j’ai fait la queue à la banque alimentaire déjà avant la crise. Donc je sais ce que c’est. Je crois qu’ils aiment l’idée d’un parti Pirate et , en plus , je suis crédible.
Q : Pourquoi l’Islande est un modèle pour l’Europe: en France on voit l’Islande comme un modèle pour beaucoup de raisons ?
BJ : Bèn, en fait on a tous besoin de se projeter vers quelque chose…. Mais détrompez vous, la vie est dure ici.
Q : Quand je prends le bus pour aller très loin, j’essaye de discuter avec les gens ou en taxi je discute avec le chauffeur. Ainsi j’ai découvert que ici ils ont souvent besoin de 2 ou 3 boulots pour survivre…..
BJ : La vie n’a jamais été facile en Islande. Cependant les islandais ne sont pas du genre à se plaindre sur ce qui ne fonctionne pas. Et ça, au moins, c’est en train de changer. Ce qui est arrivé avec les réseaux sociaux et la crise c’est que les gens commencent à s’en rendre compte :
« Eh! J’ai des droits et je peux les exercer. Il y en a d’autres comme moi. »
La raison pour laquelle je suis tombée amoureuse d’internet quand j’ai commencé à travailler chez un éditeur et développeur internet, c’est qu’on peut communiquer et partager avec des personnes venant des quatre coins du monde. La même chose arrive partout en Europe, dans les endroits les plus reculés on peut allumer une balise : tu vois, juste un petit commentaire ou un témoignage personnel, et tout d’un coup d’autres gens comme toi commencent à discuter ensemble.
Maintenant ces communications doivent être transférées d’une communauté en ligne vers une hors ligne. C’est ce que j’ai toujours apprécié avec le Parti Pirate. Évidemment nous sommes bien sûr très présents en ligne. On utilise Spybook (facebook) car presque 100% des Islandais y sont aussi. Même les personnes âgées l’utilisent, mais c’est vrai que leurs algorithmes sont horribles. Bref ! Ne me parle pas de ce que représente FaceBook actuellement. C’est très inquiétant et on doit surtout arrêter leur influence sur le monde réel. Ils croient qu’ils sont la plus grande démocratie au monde, la communauté la plus large, mais c’est faux ! Ce n’est qu’une plateforme qui permet de former des groupes, mais au moment que ces groupes veulent vraiment travailler de concert, ils doivent absolument quitter ce réseau. C’est ce qui se passe dans beaucoup de pays.
Je reviens de Hollande où j’ai rencontré un artiste Islandais qui vit là bas depuis longtemps avec sa femme. Il y a beaucoup d’immigrés sur place, ils se sont donc constitué en communauté démocratique qui partage ses repas. Le plus grand défi, c’est la ville; là où on a le plus perdu le contrôle sur nos vies à cause de l’isolement. Il y a tellement de personnes seules à la maison, mangeant seules, malades seuls, mourant tout seul…
Même si en Islande la vie peut être dure, tu le sais, imaginez comment est la vie en Syrie aujourd’hui, ou en Irak ou dans certaines banlieues de Paris. La vie est vraiment dure, quand tu n’as aucune possibilité de travailler, de te rendre utile dans ces sociétés complètement cassées. Même s’il y a des difficultés en Islande, on ne peut pas se plaindre.
Cependant, les Islandais ont été déchus de leur droit de vivre dans un pays sans misère. Nous sommes 300 000 habitants. Nous pourrions très bien vivre sans la peur de tomber malade, de perdre son boulot, ou de devoir élever son enfant tout seul…Ces derniers sont en fait les plus pauvres.
Une étude récente montre que 9 % des enfants islandais n’ont pas accès d’une manière ou une autre à des repas quotidiens, un toit ou des vêtements appropriés, et encore moins aux loisirs. C’est énorme. Ceux qui se sont appropriés les ressources de la nation (la pêche et l’énergie) par contre, il ne leurs ne manquent de rien. Ils ont même obtenu du gouvernement actuel l’abolition de taxes spéciales sur le capital et les très hauts revenus. En pleine crise ( financier red.) le gouvernement était mené par deux hommes très riches et bien nés, à supprimer cet impôt.
Je ne dis pas qu’on doit vivre dans une société totalement égalitaire. Je ne crois pas trop au modèle de redistribution des richesses par l’état. Le rôle de l’état est de garantir à chaque individu le droit de participer pleinement à l’épanouissement collectif de la société, la communauté des communs. Pour autant je n’aime pas l’idée d’un l’état « nourrice » ( de providence red.). Ce qu’on a besoin ici c’est un encadrement strict des grandes entreprises. On doit s’assurer que les ressources, dont nous sommes les gardiens, servent le bien commun.
Voila: si les gens voient en l’Islande une terre bénie, c’est parce qu’ils sont mal informés et qu’ils ont besoin de nouveaux idéaux et références. Nous avons organisé beaucoup de débats justement au sujet des références, car nous sommes peut-etre qu’un tout petit pays, mais quand même avec le plus vieux parlement et la première femme présidente en Europe….
Q : Pour moi l’Islande donne l’exemple avec ce qu’elle a fait de sa constitution.
BJ : On a vraiment besoin de la changer cette constitution. Sans raconter le processus , ce que j’ai vécu a été très stimulant mais en même temps très déprimant, je voudrais vous expliquer rapidement pourquoi on a tous besoin d’y croire, et s’assurer que c’est possible, quelque part….
L’humanité évolue à ces moments où quelqu’un arrive à faire bousculer les normes. En tant qu’artiste et en tant qu’individu on pense souvent qu’on ne peut grand chose; alors qu’il suffit de s’y mettre pour voir que c’est possible. C’est alors autant plus vrai pour les peuples.
Personne ici n’aurait cru que les Islandais enverraient un jour des gens ordinaires et des activistes sans argent au parlement. Une fois nous l’avions fait, d’autres partis comme le BEST-party ont suivi et leur campagne a recueilli 40% des votes en promettant de dégager tout ces faux espoirs du passé. On croyait ces conglomérats qui ont contrôlé l’Islande depuis sa décolonisation invincibles, mais avec la venue de la crise, on a enfin réussi a leur faire lâcher prise. La crise a aussi provoqué de très nombreuses discussions importantes sur ce qu’il fallait faire pour éviter que cela arrive à nouveau. Sur les décombres de la crise sont apparus des groupes de réflexion et des débats au sujet d’une nouvelle constitution.
On a toujours la même constitution, que la couronne danoise nous a imposée et qui a toujours été considérée temporaire. Au moins un tiers de cette constitution concerne la présidence. Donc le président a simplement remplacé le roi, car les danois ont un roi. Ils ne se sont jamais souciés de savoir ce qui serait le plus approprié pour le peuple Islandais. Et jusqu’à cette crise nous n’avons jamais eu l’occasion de la réviser.
On a d’abord lancé des débats sur notre identité, notre société et quel contrat social inclure dans la nouvelle constitution. C’était une des quatre revendications du mouvement protestataire, dont trois était déjà remplies:
1) la démission du gouvernement
2) la démission du conseil d’administration de la banque centrale
3) la démission du conseil de surveillance des marchés financiers.
Et puis il restait la mise en place d’une nouvelle constitution. Le gouvernement nouvellement arrivé au pouvoir devait créer une constitution voulu par le peuple et agissant pour le peuple. C’était la demande phare de la majorité citoyenne qui a suscité ce grand mouvement.
En fait ce processus aurait bien sûr pu devenir un modèle pour les autres nations. Il faut être conscient que quand un gouvernement ne remplis pas son mandat, personne ne peut interdire aux citoyens de se lancer eux mêmes à la tache. C’est peut être ça le « modèle Islandais ». Dans tous les cas, les parlementaires y seront par définition opposés, alors …
Sous l’égide des citoyens, il y a eu en tout deux assemblées populaires organisées : la première sur les attentes des habitants d’Islande sur le fond de la constitution ; la majorité de ces citoyens furent sélectionnés au hasard, et d’autres choisis, mais pas par le gouvernement. En suite le gouvernement a appelé mille personnes au hasard à partir du registre national. Ceux qui venaient de la campagne ont eu leurs frais de voyage et d’hébergement payés, pour qu’ils participent à un débat populaire mouvant, où les gens changeaient de groupe de discussion régulièrement. Le résultat de ces débats constituait : 1) le mandat fondamental et 2) les règles à suivre pour élire un parlement constitutif. N’importe qui pouvait se présenter.
On ne s’attendait pas à un tel engagement : 512 personnes se sont présentées, pour une assemblée de seulement 24/25 sièges. La parité h/f a aussi été assurée. Cette assemblée fût alors réellement constituée, malgré les tentatives d’obstruction de la part de certains milieux privilégiés. Mais ils ont néanmoins en partie réussi leur coup : bien que l’élection était règlementaire, certaines figures de la droite ont saisi la justice au sujet des bases légales d’un tel processus. Cet épisode n’a fait aucune presse en Europe, ce qui est en fait très choquant, mais nous n’avons pas encore dit notre dernier mot là dessus. D’après eux l’élection était illégale pour des raisons dérisoires comme la hauteur des isoloirs et une autre connerie sur les rideaux. Des arguments ridicules alors que ces représentants citoyens ont bel et bien été élus avec un système de vote incontestable.
À ce moment le parlement a dû trancher. Comme ces citoyens élus étaient dispensés temporairement de travailler, ils ont finalement tous du être « embauchés« , sauf un qui n’a pas souhaité continuer. Tout ces contretemps n’ont pas empêchés le travail sur la constitution. Les réunions plénières étaient ouvertes à tous et relayées en direct à la télévision. Tout le monde pouvait envoyer des suggestions via Facebook, téléphone ou par email sur un site internet dédié. Un bel exemple de démocratie participative !
Une fois la constitution finalisée, le parlement organisa un référendum national non contraignant, car la constitution alors en vigueur n’incluait aucune obligation de respecter les résultats d’un tel référendum. Pourtant beaucoup d’efforts ont été apportés à l’organisation de ce référendum en motivant les gens à venir voter et, sans surprise la grande majorité d’islandais vota en faveur de la nouvelle constitution.
N’oublions pas que c’était le parlement même qui avait appelé au référendum sur la constitution. Bref, à la fin ils n’ont pas eu les couilles de l’implémenter car ils étaient entretemps devenus partis prises au pouvoir. Ils s’opposaient donc systématiquement à cette nouvelle constitution qui changerait fondamentalement la donne politique. Un exemple:
Si tu vis à la campagne ton vote a environ 1,5 fois plus de poids que lorsque tu habites en ville. De l’étranger on voit bien que ce n’est pas très démocratique. Les partis traditionnels ont toujours eu plus de soutien à la campagne qu’en ville.
Beaucoup d’éléments de la nouvelle constitution s’attaquent à ce genre de vieux privilèges aux mains des partis traditionnels. C’est déprimant de voir qu’ils ont réussi d’arrêter son implémentation. Le vote au parlement n’a finalement jamais eu lieu… Pourtant beaucoup de travail a été fait pour résoudre tout les questions techniques de droit.
Bref, la constitution est aujourd’hui prête et attend sa validation, ce que le Parti Pirate promet bien-sûr de faire. Quand nous avions dépassé les 20% d’intention de vote, j’ai annoncé que nous ne ferions qu’un mandat court durant lequel nous nous engagerions à obtenir deux choses : mettre en vigueur la nouvelle constitution et organiser un référendum sur notre participation ou pas à l’Union Européenne. Ensuite on dissoudra le parlement pour enfin appliquer la nouvelle constitution et reconstruire notre pays sur une base solide.
Les gens continuent toujours à nous soutenir. Ils se sont bien rendus compte qu’on ne peut pas bâtir une nouvelle maison sur des sables mouvants.
Un de mes écrivains islandais favoris, André Smaer Magnuson, propose de rappeler les 1000 personnes de la grande assemblée pour évaluer la copie actuelle sur la nouvelle constitution. Répond elle à nos attentes? Doit on l’activer telle quelle? Devrions nous encore corriger certains aspects? Ca pourrait raviver l’élan initial qui est apparu au lendemain de la crise.
Alors, chers amis Pirates, où que vous soyez, l’abordage est possible! Choisissez des objectifs clairs et lancez une plateforme coopérative qui incite les gens à participer aux débats et statuer avec vous. In fine, nous sommes tous des Pirates !
Notes red. I : Depuis cette rencontre la publication des Panamas Papers a révélé l’implication de nombreux figures politiques islandaises dans les affaires d’évasion fiscale internationales. Dans un article de presse, Birgitta a regretté le retard de l’implémentation de la nouvelle constitution, qui aurait permis la révocation de ces parlementaires.
Notes red. II : On est trois ans plus tard, l’inteview a ete prise avant les élections anticipées Alþingiskosningar 2016
Notes red III : Regardez en ligne le documentaire Guð blessi Ísland – Dios salve Islandia (2009) Helgi Felixson
Pour obtenir les soutitres français pressez <CC> puis <la Roue > ; dans le menu de paramètres choissisez <Subtitles/CC >et deroulez vers le F et choisissez Français ou French. Les soutitres espagnoles seront traduit automatiquement.
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